Le monde elfique d'Amras Anárion

Chapitre 1

le Clan de Cuivénen


Frise de lierreFrise de lierre


  Tout commença vers le nord de la Terre du Milieu ; plus précisément dans la région montagneuse d’Opalia. Depuis l’Âge Archaïque marquant la sédentarisation des peuples, des Nains ont bâti de nombreuses colonies dans ces hautes montagnes pour y vaquer à leur occupation favorite : creuser des mines afin de trouver des pierres et des métaux précieux. Parmi ces bourgades naines, la plus grande et la plus prospère était celle de Tédûl, capitale naine d’Opalia. Et le destin l’amena très proche du lieu exact où le météore s’était écrasé, il y a trente-cinq millions d’années !


  Attiré par les richesses naines du peuple de Tédûl, un célèbre clan de Hauts-Elfes venait de s’installer au sud-est des montagnes pour commercer avec eux. Cette tribu s’appelait Cuivénen, tout simplement parce qu’elle provenait du Lac de Cuivénen, une mer intérieure formée par un fleuve. Ils ont mis plusieurs années à faire le voyage vers l’ouest, car Opalia et Cuivénen étaient distants de trois mille kilomètres. Mais ils savaient qu’une fabuleuse destinée les attendait là-bas. Même si leur clan fut décimé par le voyage, ils réussirent à atteindre leur but.

  Ils s’installèrent et vivaient heureux dans les belles forêts, juste à côté des hauteurs où habitaient les Nains. Les Elfes s’entendaient très bien avec la Race des Montagnes. Ils s’échangeaient généralement beaucoup de choses. La belle race donnait de la nourriture et des plantes médicinales contre des gemmes provenant de la race robuste. Les Elfes aimaient en effet les beaux bijoux, surtout en argent ; et les mines d’Opalia ruisselaient d’or et d’argent. En gros, tout le monde vivait en parfaite harmonie, et la civilisation prenait peu à peu le pas sur les comportements primitifs. Comme preuve, ces Elfes avaient déjà élaboré un calendrier très précis pour Elfia, et tentaient de le partager avec les autres races.


  Nous étions vers l’an -300 du Premier Âge. Le clan de Hauts-Elfes comportait à cette époque environ deux cents âmes. Comme tous les Elfes, ils possédaient de pouvoirs psychiques. Ils pouvaient donc pressentir l’avenir. Et ce fabuleux avenir allait donner un grand miracle à Elfia. Le sorcier de l’époque, Elros Voronwë, était en effet de plus en plus clair dans ses prédictions : une découverte changera bientôt la face d’Elfia et mettra fin au Première Âge. Même les autres membres du clan le présentaient et ils étaient impatients. Qu’est-ce que cela pourrait bien être ?


  Le troisième jour du mois de Súlimë de l’an -236 du Premier Âge ; Inglor Fëanáro et Ainariel Elenwë, les deux Elfes à la tête de la tribu ; eurent leur cœur comblé de bonheur. Ils réussirent à avoir leur premier fils qu’ils baptisèrent Airëlda, l’Elfe Saint. (Notons que l’équivalent de ce nom en Sindarin est Airedhel.) Ils convoquèrent Voronwë pour qu’il prédise l’avenir de leur enfant. Le Sorcier fit les rituels habituels et parut étonné, voire choqué. Il eut du mal à parler et se résolut à le faire après que son chef Fëanáro se fut impatienté : « Votre fils connaîtra un grand avenir. Il vivra jusqu’au jour de la Grande Découverte ; et même au-delà... Il vivra juste assez longtemps pour ce grand jour et par la suite, il pourra accéder à... l’immortalité ! »

  Il eut un murmure dans l’entourage. Comment un Elfe pourrait t-il devenir immortel ? Ils n’étaient que des “animaux”, exceptionnels certes, mais que des “animaux” qui devaient naître, se reproduire puis mourir ; comme toutes les autres espèces vivantes de ce monde. Seul un esprit était immortel ; et il faudrait une magie suffisamment puissante pour obtenir ce privilège. Or, la magie elfique n’avait jamais gagnée en puissance depuis des dizaines de milliers d’années. Elle leur garantissait juste des dons psychiques liés aux Quatre Éléments, et une espérance de vie très élevée – environ deux cent cinquante ans – et les Elfes en étaient déjà très satisfaits.


  Le brouhaha se dissipa petit à petit, et Fëanáro s’en trouva soulagé, tout comme sa femme Elenwë. Le faite que son Sorcier ne voulait pas parler lui laissait croire que son enfant aurait un destin tragique. En vérité c’était tout l’inverse. Devinant son trouble, Voronwë reprit la parole : « Ne vous inquiétez pas maître, son destin est clair comme de l’eau de roche. Il ne sera pas tragique, loin de là. Il vivra heureux et deviendra le digne chef de notre clan. Il vivra très longtemps et possèdera la plus puissante magie d’Elfia après la Grande Découverte ! Oui... Je vois aussi qu’il aura un très grand pouvoir et une très grande influence. Il finira même par devenir le Roi de tous les Elfes d’Elfia ! Il écrira l’histoire de notre planète pendant des millénaires ; et ce dès la Grande Découverte ! » Les Elfes reprirent leurs bavardages. Alors, cet enfant était-il vraiment béni des esprits ? Était-il vraiment l’Elfe Saint ?


  Fëanáro et Elenwë passèrent du soulagement à l’exaltation. Leur enfant elfe aura une des plus grandes destinées d’Elfia. Il deviendra le plus puissant des êtres de cette planète. Mais quand son heure de gloire arrivera t-elle ? Le Sorcier tenta d’y répondre : « Tout ce que je sais, c’est qu’il vivra assez longtemps pour jouir de la Grande Découverte. Après ce fabuleux jour, il deviendra célèbre. Mais je ne sais quand viendra le miracle. Peut-être dans un ou deux siècles.

  – Peux-tu être plus précis Voronwë ?

  – Non maître, mais ne vous inquiétez pas. Je suis totalement sûr qu’il verra le jour béni. »


  Le vingt-quatrième jour de Súlimë, c’est-à-dire à la date du printemps ; une fête eu lieu dans toute la forêt pour célébrer la naissance d’Airëlda, l’Elfe Saint et fils d’Inglor Fëanáro et d’Ainariel Elenwë. Les festivités résonnèrent jusqu’aux oreilles des Nains. Ces derniers eurent le privilège de pouvoir apercevoir l’enfant prodige. Ils descendirent donc des montagnes pour s’associer à la cérémonie. Il était insolite de voir ces deux races ensemble dans une même fête ; mais comme le couple était aux anges, Fëanáro et Elenwë décidèrent d’inviter les Nains dans leur élan d’exaltation. Ils n’eurent pas à le regretter car les festivités furent excellentes, et se déroulèrent sans incident, aux sons des chansons et des poèmes elfiques. Les liens entre les Nains et les Elfes se trouvèrent ainsi resserrés.


  Un an plus tard, le chef des Nains décida d’offrir leur plus belle création au fils d’Inglor Fëanáro et d’Ainariel Elenwë pour les remercier de les avoir invités. Les Nains avaient découvert un petit filon de mithril, une sorte de minerai d’argent mais bien plus précieux. Ils en avaient fait un magnifique bijou, dans le respect de l’art elfique. Comme les techniques de métallurgie étaient très rudimentaires à cette époque, et que le mithril était d’une solidité incroyable, il a fallu toute l’année pour le forger et le façonner. Mais il fallait que le cadeau soit à la hauteur de la générosité de Fëanáro. Les Nains offrirent donc ce bijou à Airëlda, le quinzième jour du mois de Lótessë, an -235.


  Elenwë trouva ce bijou magnifique. C’était un collier. La chaîne était un mélange de cristaux et de mithril, tout comme le pendentif. Ce dernier avait la forme d’une fleur à dix pétales (cinq petites et cinq grandes) et son diamètre faisait une bonne demi-douzaine de centimètres. De plus, son cœur brillait de mille feux : une vraie petite merveille ! Le Nain prit la parole : « Nous savons que l’argent augmente vos aptitudes à la magie. Et comme le mithril est une sorte d’argent encore plus fabuleux, il devrait porter chance à l’Elfe qui le portera. » Elenwë le remercia et lui donna l’autorisation de partir. Une sorte d’argent encore plus évolué ? Les Nains devaient être des mineurs et des forgerons exceptionnels pour pouvoir concevoir cette merveille, parfaitement réalisée. L’Haute-Elfe baptisa ce bijou “La Fleur de l’Aurore”. Tout simplement parce que le bijou reflétait les couleurs de l’arc-en-ciel et faisaient penser à une magnifique fleur magique qui s’ouvrait gracieusement lorsqu’elle sentait les rayons matinaux de la Galanor* Sacrée.

  Fëanáro donna l’ordre à Voronwë de bénir ce collier. Le Sorcier le fit, et il fut étonné des propriétés du mithril. Il augmentait réellement les pouvoirs psychiques, et même plus que l’argent normal. Il n’eut donc aucun mal à enchanter l’objet avec ses plus puissants sorts de protection. En rendant le bijou à son maître, il lui fit remarquer que jamais il n’avait eu autant de facilité à bénir un objet. Fëanáro le remercia et passa La Fleur de l’Aurore à son épouse qui le légua à son fils, Airëlda, l’Elfe Saint, promis à une grande destinée.

  Pour récompenser Voronwë de ses bons et loyaux services, le chef des Elfes lui donna la main d’Itarillë, sa fille aînée, âgée de 63 ans seulement*. Voronwë et Itarillë furent heureux lors du mariage, et ils prirent respectivement comme prénoms Elros et Linwë. En effet, il était coutume qu’Elfe se choisisse officiellement un prénom en plus de son nom lors de son mariage.


  Le vingt-quatrième jour du mois de Víressë de l’an -223 du Premier Âge, c'est-à-dire un mois après le jour du Printemps, Elros Voronwë et Linwë Itarillë eurent leur première fille. C’était une Haute-Elfe d’une beauté surprenante. Tout le monde était béat d’admiration devant cette petite Elfe aux yeux bleus et aux cheveux dorés qui reflétait la lumière de la Galanor. C’est pour cela qu’ils la baptisèrent Altári, la Reine de Lumière*. Cependant, le destin fera que lorsque la Langue Commune verra le jour, son nom Sindarin sera préféré. Et c’est pour cela qu’elle sera nommée Galadári dans les textes du futur Langage Commun.

  Par la magie du Feu, Voronwë se mit à étudier l’avenir de sa fille, comme il l’avait fait pour Airëlda. Il fut une fois de plus étonné : elle aura un aussi grand avenir que le fils de Fëanáro et Elenwë. Itarillë se demanda pourquoi. Voronwë lui répondit : « Son avenir est plus qu’évident. Elle est née exactement un mois avant le solstice de Lairë*, et sous la protection de l’élément Eau. Cela lui promet une fabuleuse destinée : elle épousera Airëlda !

  – Comment cela se peut ? Elle est la belle-fille d’Airëlda ! Ils ne tomberont jamais amoureux l’un de l’autre ! La nature s’y opposera. Et s’ils s’épousaient ? Ils ne pourront jamais avoir d’enfants à cause de leur consanguinité !

  – Je sais qu’ils ne pourront jamais avoir d’enfants. Elle sera même infertile ! Mais en sacrifiant sa descendance, elle partagera la gloire d’Airëlda. De plus, elle vivra juste assez longtemps pour obtenir l’immortalité de la même manière que son époux. Peut-être même qu’avec la future magie, elle se guérira de son infertilité. De plus, toujours sur le plan spirituel, je sais que l’élément d’Airëlda sera l’Air. L’union de l’Eau et de l’Air promet la réalisation des grandes choses, car leurs points faibles se combleront mutuellement ! Ils sont faits l’un pour l’autre ! Désires-tu avoir une descendance glorieuse ?

  – Bien entendu ; je souhaiterais que mes enfants vivent heureux.

  – Alors tu feras tout pour qu’Airëlda et Galadári s’unissent. Cela sera difficile, car la santé de notre fille sera fragile. Il faut à tout prit qu’elle survive jusqu’à la Grande Découverte.

  – Survivra t-elle ?

  – Les esprits ne veulent pas m’en dire plus. Tout ce que je sais, c’est que nous devrons faire un autre enfant. Cela modifiera favorablement de destin de notre fille et celui de notre futur fils.

  – Par la naissance d’un nouvel Elfe de notre sang, notre descendance sera donc bénie !

  – En effet, nos deux enfants auront un destin glorieux !

  – Alors je suis la plus heureuse des Elfes ! »


  Voronwë était un devin hors pair, et il méritait sa renommée, car ses prédictions se révélaient très souvent exactes. Quatre ans plus tard, l’héritier mâle d’Elros Voronwë et de Linwë Itarillë vit le jour. C’était le cinq Yavannië an -219 du Premier Âge. Ce fut un bel Elfe aux cheveux noirs, possédant des yeux d’un bleu profond. Itarillë fut une fois de plus heureuse. Voronwë s’exclama : « Il sera mon héritier ! »

  – Que veux-tu dire ?

  – Lorsque je ne serai plus, il prendra la charge de Sorcier du Clan.

  – Cela signifie... malheureusement pour toi...

  – Oui, je ne vivrai pas assez longtemps pour voir la Grande Découverte. Ni mon maître et sa femme. Mais mon fils aura une grande destinée. Il accompagnera Airëlda sans ses actions. Il partagera son avenir, tout comme notre fille. Il verra le grand jour.

  – Comment cela se peut-il ? La charge de Sorcier du Clan n’est pas héréditaire. Seul le chef du clan peut le nommer, et peut le remplacer quand il veut.

  – Si tu t’inquiètes pour moi, Fëanáro me gardera jusqu’à mon trépas. Sinon, il ne pourra plus jouir de mon breuvage qui lui prolonge sa vie... Et pour notre fils, il aura de forte chance d’être nommé par Airëlda.

  – Cela signifie ?

  – Tu ne poses trop de questions, ma bien-aimée. N’abusons pas de la magie, ne forçons pas le destin. Je l’éduquerais de mon mieux en matière d’ésotérisme. Il deviendra le plus puissant Sorcier de notre Clan. Par conséquent, il sera désigné sans hésitation.

  – C’est ma dernière question. Tu disais, il y a quatre ans, que notre fils aidera notre fille. Comment cela se peut ? Il va lui sauver la vie ?

  – Là, je ne sais pas. Mais tu as peut-être raison. Laissons faire l’avenir. La Galanor brillera sur la destinée de nos enfants.

  – Tu n’as pas encore donné de nom à notre fils. Comment vas-tu l’appeler ?

  – Puisqu’il aura un avenir glorieux et qu’il sera un grand magicien, nous l’appellerons... Tinolmo, le Sage Brillant* ! Et si je prononce cela en Sindarin, il sera nommé Golthilia...

  – La vie elfique est vraiment agréable mon tendre époux. »


  Le temps passa, et le Clan de Cuivénen vécut des jours heureux. Airëlda grandit et son père lui enseignait l’art de diriger tout en tentant de lui octroyer l’orgueil des Hauts-Elfes. Golthilia devenait un puissant sorcier et la précision de ses prédictions égalait presque celles de son père. Il devenait un maître pour contrôler la Terre alors que son père excellait dans le Feu. Galadári était la femme la plus belle du clan et tout le monde souhaitait un jour lui prendre sa main. Par contre, elle avait une santé fragile et tombait souvent malade. Son père devait souvent avoir recours à la magie pour la soigner, car les onguents d’Athélas ne suffisaient pas. Heureusement, l’expérience en matière d’ésotérisme de Golthilia soulageait son père, car il pouvait prendre le relais pour guérir sa sœur. Mais malgré tout, Voronwë s’inquiéta pour Galadári. Sa santé fragile allait la faire vieillir plus rapidement. Elle ne verra jamais la Grande Découverte de cette manière... et ses prédictions se révéleront fausses. Il faut trouver à tout prix un moyen de sauvegarder sa santé... Mais comment ?


  Vers l’an -135 du Premier Âge, la situation se dégrada. Galadári tombait malade chaque mois et Voronwë et son fils durent consacrer beaucoup d’efforts à la maintenir en vie. Cela exaspérait Fëanáro qui menaça de congédier son Sorcier. Et il rajouta qu’il ne nommerait pas son fils s’il le faisait ! Ses paroles frustrèrent les esprits protecteurs du Clan de Cuivénen (indépendamment de toute volonté elfique), et une suite de tragédies frappa le clan elfe. En l’an -134, Elenwë décéda de sa mort naturelle à l’âge de 283 ans. Ensuite, Fëanáro mourut accidentellement lors d’une chasse en l’an -128 du Premier Âge, lorsqu’il avait 337 ans. Tout le monde porta les soupçons sur Voronwë et l’accusèrent d’être de pair avec les esprits protecteurs pour ce qu’ils appelaient un « meurtre ». Certes, le Sorcier n’aimait plus le chef du clan depuis qu’il était devenu arrogant et qui en plus était très (pour ne pas dire trop) vieux ; mais il n’avait pas assassiné Fëanáro. À cause des accusations et persuadé que toutes ses prédictions étaient fausses, il sombra dans une grande tristesse elfique. Il se suicida l’hiver suivant avec sa femme, à l’âge de 234 ans, et le clan se retrouva sans chef, ni sorcier.


  « C’est une catastrophe pour notre avenir ! » hurlait un Elfe. « Les esprits sont contre nous et nous ne le pardonneront jamais ! » criait un autre. Le clan était déboussolé. Ils comprirent finalement que Voronwë était innocent. Tout le monde fit alors les funérailles de Fëanáro en priant les esprits de lui pardonner son arrogance ; et celles de Voronwë, en lui implorant de les pardonner de l’avoir accusé à tord. C’est ainsi que vivent les Elfes. Ils peuvent mourir par accident, par maladie ou par vieillesse ; et une grande dépression les conduit à se tuer. Ne dit-on pas qu’un Elfe peut disparaître à cause de la tristesse ? Et un Elfe triste fait vraiment pitié. C’était à partir de là que l’on comprit que le sorcier était innocent : la tristesse elfique est toujours sincère.


  Malgré tout, la vie dut continuer. La tradition voulait que le clan reste un an sans chef, le temps de faire le deuil. Et au deuxième printemps, le successeur prendra le pouvoir et devra prendre une femme. Airëlda a été désigné comme l’héritier du clan, mais il devait attendre le vingt-quatrième jour du mois de Súlimë, an -126. En attendant son sacre, il avait tendance à s’ennuyer. De son côté, Golthilia était enragé à cause de fausses accusations portées contre son père et qui l’ont conduit à son trépas ! En ce moment, sa sœur était en bonne santé, mais pour combien de temps ? Pour venger l’honneur de son père, il fallait qu’il fasse tout pour que ses prédictions se réalisent. L’avenir d’Elfia sera en jeu ! Et pour cela, il faudrait commencer par assurer la santé de Galadári... Et pour y arriver, il lui faudra...

  Golthilia se précipita chez le futur héritier du clan. Il cria : « Airëlda, tu n’es jamais tombé une seule fois malade de ta vie* ?

  – Non, jamais ; je dois dire que je suis l’Elfe le plus chanceux du clan. Mais qu’est qui t’a ravivé si brusquement. Un esprit t’a-t-il montré une chose importante ?

  – Oui... euh non. Je viens d’avoir une idée. Est-ce ce bijou qui te protège ?

  – Ce que j’ai au cou ? Depuis que ma mère me l’a légué quand j’étais bébé, je le porte toujours sur moi. Il ne faut pas être un grand sorcier pour savoir qu’il referme une puissante magie. Il m’a en effet beaucoup protégé. C’est même ton père qui a enchanté La Fleur de l’Aurore. Mais pourquoi me demandes-tu tout cela ?

  – Je souhaite offrir la même protection magique à ma sœur. Ce qu’il me faudrait, c’est juste du mithril. J’irai chez les Nains pour leur demander.

  – Il n’y a pas beaucoup d’espoir. La Fleur de l’Aurore est un bijou mystique. Il a fallu plus d’un an pour le fabriquer. En plus, le mithril est très rare. Entre temps, ta pauvre sœur aura le temps de retomber malade. C’est dommage qu’une si belle créature ait une santé si fragile...

  – Veux-tu aller chez les Nains ? Je sais que tu t’ennuies.

  – C’est une bonne idée ! Les esprits seront avec nous. Mais comment pouvoir s’absenter aussi longtemps du Clan. Personne ne me laissera partir.

  – Tu peux prétexter que c’est un pèlerinage et que tu cherches à communiquer avec l’esprit de ton père ; ou encore que c’est une quête héroïque pour prouver que tu es digne de devenir le Chef du Clan de Cuivénen !

  – C’est une excellente idée. Ça me fera une quête. Je vais chercher notre équipement et le lembas.


  Lorsqu’un Elfe est déterminé à faire quelque chose, il le fera avec force, malgré les périls. Le clan accepta l’alibi d’Airëlda et de Golthilia. Ils purent quitter la forêt, afin de se diriger vers le nord-ouest montagneux, et donc vers la demeure des Nains. Ils y arrivèrent au bout d’un mois, après quelques embûches dûes à des bêtes sauvages. Airëlda demanda à rencontrer le chef des Nains. Il fut aussitôt reconnu grâce au célèbre bijou qu’il portait ; et le Nain alla tout de suite chercher son maître.


  Le chef des Nains arriva. Il était d’une carrure imposante, bien qu’il fût un peu plus petit que les Elfes. Son armure massive d’acier et sa longue hache ouvragée en guise de sceptre lui conféraient une certaine grandeur. Il avait une barbe grise et plus grande que ses congénères, et elle était brillante et tressée. De toute manière, il en prenait grand soin. On dit que la taille de la barbe d’un Nain est un signe de son âge et de son expérience, mais c’est aussi un symbole de puissance.


  Le Nain les invita dans une caverne spécialement taillée pour être la demeure d’un important personnage. Elle était en effet plus grande et la roche se révélait être mieux taillée. Le Nain prit la parole : « Bienvenue mes amis ! Je me nomme Hadhod... Ah ! Je vois que le porteur de notre chef-d’oeuvre est venu nous voir. Tu es le célèbre Airëlda si j’ai bonne mémoire. Nous avons offert cette merveille pour récompenser ton père de nous avoir invités. Les Elfes savent faire la fête. Mon grand-père nous a tout raconté à ce sujet. À l’époque, c’était le dirigeant de mon clan. Un Nain très généreux... vraiment généreux... Nous avons passé un an à fabriquer cette fleur de mithril, et je suis heureux qu’il soit toujours intact. Nous, les Nains, sommes d’excellents artisans et nos objets sont de première qualité... Euh... Pouvez-vous me dire pourquoi vous êtes venus, nobles voyageurs... Vous êtes sûrement venus pour faire du commerce, n’est-ce pas ? » demanda t-il après avoir remarqué qu’Airëlda et Golthilia s’impatientaient. Airëlda s’éclaircit la gorge et s’exclama : « Nous venons vous demander une faveur, ô Hadhod !

  – Et de quoi s’agit t-il ?

  – Nous voulons un autre objet en mithril.

  – Un bijou en mithril ? Nous avons très peu de ce métal. C’est un minerai extrêmement rare ! De plus, il faudra du temps pour forger un autre bijou. La modélisation du mithril est très difficile pour nous. À moins que vous ayez un objet précieux à nous donner en échange...

  – Nous sommes désolés ; nous n’avons rien à vous offrir.

  – Ah ! Quel dommage ! Dans ce cas, je ne peux rien faire pour vous.

  – Nous nous contenterons d’un morceau de mithril brut. Vous n’aurez pas besoin de le façonner.

  – Je vois que vous êtes déterminés à en avoir. Puis-je savoir pourquoi vous y tenez tant ?

  – C’est pour ma sœur ! » dit Golthilia. « Sa santé est très fragile ces dernier temps. Elle tombe souvent malade et je crains qu’elle finisse par succomber. Et les prédictions de mon père se révéleront fausses. Je perdrai ainsi mon honneur. Je sais que ce métal sacré la protégera beaucoup mieux que l’argent. Je bénirai le morceau de mithril, comme l’avait mon père sur La Fleur de l’Aurore.

  – Ah ! La fierté des Elfes ! Je vois que tu es le digne fils de ton père. Mais tu es devenu un adulte maintenant. Tu as presque un siècle si j’ai bonne mémoire. Et le bijou a été nommé « La Fleur de l’Aurore » ? Quel joli nom. Euh... revenons à notre sujet. Vous voulez un bijou en mithril ? Je pense pouvoir exercer votre vœu. J’ai des jambières faites de ce métal qui devrait vous plaire. Elles ne sont pas à ma taille de toute manière. Je dirais que ça conviendrait plutôt pour un Elfe. »


  Airëlda et Golthilia frémissaient de joie à cette nouvelle. Mais leur espoir allait bientôt s’amoindrir. Hadhod allait en effet donner ses conditions : « En échange de cette faveur, je souhaiterais que vous nous aidiez pendant un mois. Nous avons souvent des blessés dans nos mines. Et un peu de magie blanche ne serait pas de refus, puisque vous êtes tous les deux de puissants sorciers. »

  Il est vrai que Golthilia était un expert en enchantements, surtout dans le domaine de la géomancie. Quant à Airëlda, sa Fleur du Soir décuplait considérablement ses pouvoirs ésotériques. Mais les deux Elfes s’inquiétèrent. En un mois de plus, Galadári aurait le temps de tomber malade, voir de trépasser. Mais si c’était le prix à payer pour éradiquer cette fragile santé... Il fallait tenter le tout pour le tout. Airëlda donna sa décision : « Nous acceptons de vous aider pendant un mois. Nous sommes aujourd’hui le quatorze Nénimë de la deux cent quarante-sixième année*. Dans trente jours, nous pourrons donc repartir.

  – En effet. Et bien voilà, notre affaire est conclue. Vous resterez ici pendant un mois. Mais je crains que se soit encore bien insuffisant par rapport à ce que vous nous demandez. Enfin, si vous nous faites un miracle, je vous donnerai les jambières. Sinon, je verrai plus tard...


  Les Elfes étaient inquiétés par ses dernières paroles : le Nain risquait de ne pas tenir sa parole, mais il fallait tenter le coup ! Ils vécurent alors une expérience pour le moins insolite : vivre comme des Nains ! Entre les inconfortables cavernes en pierre et les mines obscures et poussiéreuses, un Elfe ne s’y plairait pas du tout. Mais sous peine de décevoir Hadhod, Airëlda et son ami ne s’en plaignaient jamais ; sauf quand ils étaient seuls : « Tu as vu ce horrible tunnel qu’ils ont creusé. J’en suis sorti tout plein de poussière de charbon. » se plaignait Airëlda. Golthilia approuva : « En effet, la vie de Nain est très désagréable pour un Elfe. La forêt me manque, et mon clan aussi. Je me demande comment les Nains peuvent supporter tout ça...

  – Ils aiment creuser et ils sont très endurants. Tu le sais, non ?

  – Mais de toute manière, ça ne fait jamais de mal d’aider les personnes, Non ? Soigner ces êtres qui travaillent si dur.

  – Pourvu que nous n’abuserions pas de la générosité d’Hadhod. Il nous a demandé un miracle. Pour cela, il faudrait que les esprits nous viennent en aide. Si seulement il y avait un trésor sous ces roches. Un filon de mithril par exemple... »


  Ils finirent par faire leur méditation nocturne sur les inconfortables lits de pierre, recouverts à peine de litière. Cette transe qui durait de quatre à six heures remplaçait le temps de sommeil nécessaire aux autres animaux pour régénérer. En effet, le corps et le cerveau récupéraient plus vite grâce à la magie elfique que par le sommeil naturel, et seule une vraie et sereine nuit d’amour pouvait convaincre un Elfe de sombrer dans le véritable sommeil. Cependant, cela ressemblait beaucoup au vrai sommeil, mais avec les avantages suivants : la transe elfique était plus rapide, renforçait les pouvoirs psychiques et permettait toujours de faire des rêves comme dans un sommeil normal. De plus, il n’était pas rare que ces rêves soient prémonitoires...

  Golthilia eut des pensées troublées. Il rêva qu’il était un Nain trouvant plein de mithril. Puis il redevenait un Elfe. Il fut heureux car il pourrait prendre sans problème un échantillon de ce métal précieux. Puis lui vint une vision fantastique. Des pierres d’un bleu irisé se trouveraient plus au sud, à une demi-journée de marche d’ici. Mais ces pierres semblaient si lointaines, si profondes que même les Nains aurait du mal à les trouver. Puis elles avaient été déterrées. Tout le monde voulait se les arracher tellement elles étaient belles. Ce fut la guerre ! Une guerre terrible, jusqu’à la dernière goutte de sang ! La violence des combats était telle qu’il avait du mal à reconnaître les deux peuples qui s’entretuaient, mais il cru vaguement apercevoir les carrures des Nains et les silhouettes des Elfes. Soudain, il sentit une hache foncer vers sa tête et puis plus rien. Golthilia venait en effet de tomber du lit de pierre !


  Il médita sur ce dont il avait rêvé. Non, ce n’était pas un songe ordinaire. C’était un rêve prémonitoire. Il en était sûr : il y avait un rapport avec la Grande Découverte. Il réveilla tout de suite Airëlda et lui raconta sa vision. Ce dernier commenta ce qu’il venait de dire : « Avant de tomber en transe nocturne, j’avais souhaité que les esprits nous aident ; et maintenant ils t’ont aidé. Si ce que tu dis est vrai, alors Hadhod sera plus que content.

  – Mais cet esprit m’a signalé que ces pierres bleues étaient très profondes. Il faudrait une grande chance aux Nains pour les trouver ! De plus, as-tu vu la guerre violente qui en a résulté ? Si ces pierres sont déterrées, il y aura la haine entre les Elfes et les Nains, car ils se battront pour les avoir !

  – Il te faudrait l’aide d’un Elfe devin pour déterrer le fruit divin de la terre ! Et si tu te souviens des paroles de Voronwë, la Grande Découverte amènera Elfia à une prospérité sans égale. La guerre, je te déconseille vivement de la mentionner, car elle ne sera que passagère. Et dans le cas le pire, si la guerre est inévitable et que les Hauts-Elfes remportent la bataille, leur gloire sera plus grande : la prédiction de ton père mentionnait clairement que ce seront les Elfes qui iront apporter la Prospérité à Elfia, pas les Nains !

  – Oui, tu as raison. La guerre, je n’en parlerais guère, en espérant qu’elle sera la moins grande possible... Je suis sûr qu’il sera possible de l’éviter ! Nous sommes après tout maîtres de notre destin... Enfin, je pense... Et quand à la découverte des cristaux irisés, j’irai tout de suite en parler à Hadhod ! Si nous voulons réussir à les persuader d’aller creuser à l’endroit de ma vision, il ne faut dire que ce qu’il y aura de bon dans l’histoire.

  – Malheureusement, tu dis que ça sera très difficile de les trouver. Il faudra plus d’un mois...

  – Je dirais même des dizaines d’années...

  – Que veux-tu dire par là ?

  – Souviens-toi de ce qu’a prédit mon père. Nous vivrons tout juste assez longtemps pour voir la Grande Découverte. Comme nous ne sommes pas encore à la moitié de notre vie, cela signifie que ce sera dans plus d’un siècle !

  – Un siècle ?

  – Oui, je commence à savoir plus précisément quand aura lieu ce fabuleux jour.

  – Et as-tu une autre idée en attendant ce jour. Parce que nous devrons partir demain, le mois a presque expiré ; et les Nains n’ont toujours pas trouvé de mithril.

  – Tu m’y fais penser. Au début de mon rêve, il était justement question de ce minerai. Et je sais où en trouver exactement...


  Golthilia alla voir le Nain et lui dit où trouver du mithril. Hadhod ne manqua pas de lui signaler que c’était sa dernière chance. Sinon, il n’aurait pas les jambières. Les Nains se mirent à creuser là où l’Elfe leur avait montré. Soudain, ils trouvèrent de la poussière d’argent... puis un filon de mithril ! Airëlda en fut soulagé puis heureux, mais sa joie allait vite s’estomper. Ce filon était une fois de plus petit. Ce n’était pas comme dans son rêve, mais au moins, la moitié de la vision était vraie.


  La journée prit fin, et les Elfes allaient connaître la décision du chef des Nains. Ils entrèrent dans la demeure d’Hadhod, en espérant de tout leur cœur qu’il donnerait ces fameuses jambières de mithril. « Entrez chers amis ! » dit le Nain. Les Elfes s’assirent et Hadhod prit la parole : « Il est temps de se dire au revoir. Et je crains de ne pas pouvoir vous donner ce présent. » Les Elfes furent indignés. Airëlda répliqua : « Nous avons travaillé dur pendant un mois Hadhod. Nous ne pouvons pas repartir les mains vides !

  – En vérité, j’hésite. La veine de mithril était petite. Au moins que vous nous indiquiez où trouver un autre trésor dans ces belles montagnes ! » Golthilia hésita à révéler la partie principale de son songe. S’il se trompait encore ? Il décida de prendre le risque : « Je sais où vous pourrez trouver un trésor inestimable ! Des cristaux d’un bleu éclatant. Ils se trouvent à demi-journée de marche au sud de cet endroit. Je vous garantis que ces magnifiques pierres sont bien plus précieuses que le mithril !

  – Du saphir ?

  – Non Hadhod, encore mieux ! Elles sont d’une couleur irisée. Mais je vous préviens : dans mon rêve, j’ai vu qu’elles étaient très difficiles à trouver, profondément enfouies sous terre. Il vous faudra plusieurs dizaines d’années pour les révéler au grand jour. Je pense même que ce sera le fruit de la Grande Découverte !

  – La Grande Découverte ? Cet événement dont vous n’arrêtez pas de parler depuis plus d’un siècle ? Je ne fais pas trop confiance aux rêves prémonitoires. Mais si nous étions les acteurs de cette “Grande Découverte”, un peu de gloire ne nous ferait pas de mal. Enfin, nous n’allons pas nous déplacer comme ça ! Nous resterons ici à Tedûl : c’est notre demeure. Mais, je garderais ce que vous m’avez dit en mémoire. Et mes successeurs aussi. Ça pourrait un jour nous intéresser si nous ne trouvons plus rien dans cette zone. Je pense que nous devons maintenant nous quitter. Je vous dis donc au revoir et je vous souhaite un bon retour dans votre clan.

  – Vous n’oubliez pas une chose, ô Hadhod ? » fit remarquer Airëlda en montrant les jambières de mithril à moitié cachées par le Nain. Ce dernier parut gêné : « Ceci ? J’hésite toujours à vous les donner. Nous avons mis deux ans à les forger. Il y avait beaucoup de minerai à modeler. Disons que j’ai en plus passé un mois à graver des motifs elfiques dessus. C’est un objet extrêmement précieux pour nous. Enfin, je suppose que de toute manière, ceci vous été destiné.

  – Si vous l’avez façonné à la mode elfique durant un mois exactement – le mois précis où nous étions ici d’ailleurs – c’est que vous avez prévu de nous le donner. J’en déduis donc que nous vous avons déçu.

  – Disons que j’attendais un miracle de votre part. On dit que les Elfes ont de fabuleux dons psychiques. Mais si votre histoire de cristaux bleus est vraie... Et c’est pour sauver votre sœur ? Je crains qu’elles ne soient pas à sa taille. Mais si c’est pour une bonne cause, je vous les donnerais, mais...

  – Arrêtez d’hésiter s’il vous plaît. Suivez la Sagesse et soyez le digne petit-fils de votre grand-père. Ne disiez vous pas qu’il était très généreux ?

  – Bon d’accord ! Vous avez gagné ! Prenez-les ! Mais je vous dis une chose : abuser de la générosité de quelqu’un fait que cette personne vous aimera moins par la suite. Vous ignorez quelle est la valeur du mithril pour nous ! Au moins que vous nous offrez quelque chose de très précieux en retour !


  Il était clair que le Nain hésitait toujours et était très dur en termes d’affaires, au point de s’énerver ostensiblement. Airëlda et Golthilia durent négocier, et donner un peu de lembas et quelques feuilles d’Athélas aux Nains pour satisfaire les exigences d’Hadhod en marchandage. Ils purent finalement repartir, le quatorzième jour de Súlimë an -127 du Premier Âge, avec la récompense : les fabuleuses jambières de mithril ! Airëlda put enfin contempler le présent : C’était comme deux sortes de gros bracelets, mais conçus pour mouler les jambes. Ils étaient d’une couleur argentée agréable à contempler et légers. Les motifs représentaient des plantes, des feuilles et toutes ces choses qu’on trouve dans la forêt. Il y avait aussi une gravure d’aile d’oiseau sur chaque côté. Le travail des Nains est remarquable. Les gravures sont d’une grande finesse et en relief. Il n’y avait aucune aspérité. C’était vraiment magnifique.


  Malgré le faite qu’il soit béat d’admiration pour cet objet, Golthilia finit par prendre la parole : « Si tu mettais ces jambières pour voir si elles te vont ?

  – C’est une bonne idée. Autant les utiliser maintenant plutôt que de les transporter. » Airëlda les mit. Elles moulaient parfaitement ses jambes. Il ne sentait même pas le poids de l’objet tellement le mithril semblait léger. C’était même une sensation agréable. Sans avoir été bénies, les jambières paraissaient déjà enchantées ! Airëlda pouvait courir plus vite ! Golthilia semblait émerveillé par ce prodige. Surtout que les jambières était très belles, brillantes et protégeaient tout naturellement les jambes.


  Airëlda était comblé. Il remercia tout naturellement son compagnon : « Merci beaucoup Golthilia. Sans toi, je n’aurais jamais reçu cette merveille.

  – Ce n’est rien. Les Elfes doivent s’entraider entre eux, non ?

  – Oui. Avant, tu n’étais qu’un Elfe ordinaire pour moi. Mais maintenant, je connais ta valeur : tu es un grand ami pour moi.

  – Quelque chose me dis que tu avais tendance à m’ignorer avant.

  – En effet. Je vais te révéler une chose : mon père ne voulait pas que je te choisisse comme Sorcier du Clan, car il estimait que toi et ton père vous éloignez des intérêts de la tribu en vous occupant tout de temps de cette pauvre Galadári.

  – Je m’en doutais. Il n’est pas difficile de lire dans les esprits. Mon père avait perçu la menace depuis longtemps. Mais Fëanáro ignorait à moitié une chose : il est mort extrêmement vieux. En effet, mon père connaissait un breuvage qui allongeait l’espérance de vie. Ce breuvage est difficile à préparer, et les ingrédients demeuraient rares. Je me souviens que l’ingrédient principal était des pétales de simbelmynë, une plante rarissime qui ne pousse que sur les pentes des montagnes. On dit qu’elle préfère pousser là où les glorieux défunts ont été enterrés. Sous la demande de Fëanáro, Voronwë lui donnait régulièrement ce breuvage. Il était exclusivement le seul du clan à en jouir. Et c’était peut-être pour cela que Fëanáro n’a jamais renvoyé mon père... Mais il n’allait pas tarder à le faire.

  – La vieillesse n’avait fait que renforcer son orgueil. Il avait petit à petit perdu sa Sagesse.

  – Tout simplement parce que la tribu était heureuse. Il n’y avait jamais de différends. Le Mal fut oublié. Et quand il revient, il devient plus dangereux que jamais ! C’est pour cela qu’il faut se méfier des périodes prospères.

  – Tu sais quoi ? Je pense que dès que je serai à la tête du clan, je te nommerais Sorcier.

  – Le ferais-tu à cause des prédictions de mon père ?

  – Non, je le fais pour te remercier de m’avoir soutenu dans cette quête ; et aussi pour sauver l’honneur de Voronwë. Il t’avait dit que tu lui succèderas. Je vais honorer son vœu. De plus, tu es le plus puissant sorcier du clan. Il est tout à fait normal que le titre te revienne.


  Les deux Elfes continuèrent d’avancer, heureux. Étant donné qu’ils n’avaient ni prévu de rester chez les Nains, ni prévu de leur donner leur nourriture elfique, ils manquèrent de lembas. Il fallait donc se nourrir en cette fin d’hiver. Airëlda fabriqua un arc. Il aperçu du gibier et réussit à abattre d’une seule flèche une proie adulte. De toute manière, ses bijoux en mithril lui portaient chance. Il faut préciser aussi que les Elfes sont naturellement excellent au tir à l’arc. Et Airëlda n’avait pas manqué son entraînement ! Les deux Elfes continuèrent donc leur chemin vers la forêt et le Clan de Cuivénen, en étant certain d’avoir assez de nourriture jusqu’à la fin de leur voyage.


  Soudain, Golthilia se rappela d’un petit souci : si les jambières étaient à la taille d’Airëlda, elles seront trop grandes pour Galadári. Et elle ne pourra pas s’encombrer tout le temps avec cela. Airëlda comprit alors qu’ils avaient fait ce voyage pour rien. Enfin, ils ont tout de même eu un très grand présent de la part des Nains. Mais leur but n’était pas qu’Airëlda porte un équipement en mithril ! C’était d’offrir un bijou en ce métal qui maintiendrait la santé de Galadári. Leur quête avait échoué...


  Pendant qu’ils descendaient des montagnes, Golthilia remarqua des fleurs blanches au pied d’un arbre sans feuilles qui se tenait sous un ancien tertre. C’était étrange : la saison de Tuilë* n’était pas encore arrivée. Comment des fleurs pourrait pousser à cette saison ? Airëlda s’approcha de la mystérieuse plante. Golthilia parut stupéfait. « Mais... Je reconnais cette plante. C’est du simbelmynë !

  – Comment cela se peut-il ?

  – C’est une plante très résistante. Elle peut fleurir n’importe quand dans l’année. On dit même que cette plante est magique – ce qui est vrai d’ailleurs ! Elle a la particularité d’allonger l’espérance de vie d’une personne !

  – Cueille-la. Je suis sûr que ça sera d’un grand secours pour la belle Galadári.

  – Tu n’aimerais pas ma sœur par hasard ? » dit-il en coupant avec soin toutes les fleurs. Airëlda rougit. Il le nia : « Non ! Comment je pourrais épouser une proche ! Et elle tombe tout le temps malade !

  – Comment résister à une telle beauté ? C’est la plus belle Elfe du Clan de Cuivénen !

  – Oui, euh... non... » dit Airëlda, tout ému...

  Ils repartirent en direction de leur tribu, heureux et sans inquiétude... Si tout se passait bien, ils arriveraient chez eux vers le printemps.


  « Où étiez vous passés ? » se demanda un vieux Elfe du clan. « Je doute que ce soit pour un pèlerinage de deuil. Cela fait trois mois qu’on vous ne a pas revu ! Si les sorciers de la tribu ne nous avaient pas assuré que vous n’étiez pas en danger, nous serions partis à votre recherche ! » Les deux Elfes les rassurèrent, en disant que tout allait bien.

  Rapidement, tout le monde remarqua les jambières de mithril d’Airëlda et le clan comprit qu’ils étaient allés chez les Nains. Tout d’abord, les Elfes crurent que le cadeau d’Hadhod était constitué d’argent. Mais ils comprirent vite que c’était du vrai-argent : le célèbre mithril ! Tous les membres du clan se demandaient comment Airëlda avait pu se procurer un objet si précieux. L’Elfe fut obligé de raconter son périple. Les membres les plus âgés étaient indignés d’une telle conduite ; mais les jeunes avaient apprécié cet Elfe courageux qui cherchait l’aventure et les trésors.


  Airëlda n’avait pas mentionné son vrai but, pour ne pas offenser les anciens de la tribu qui étaient restés fidèles à Fëanáro. Dès qu’il fut tranquille, il alla se précipiter dans l’arbre où Galadári se reposait. Comme il fallait s’y attendre, elle était une fois de plus malade. Elle réussit à prendre la parole malgré sa faiblesse : « Je t’ai attendu depuis si longtemps mon frère. Je suis heureuse que tu sois arrivé juste à temps. Et toi ô Airëlda ; je vois que tu viens d’accomplir un exploit. J’ai entendu ton récit de là où j’étais. Tu mérites vraiment de devenir le dirigeant du Clan de Cuivénen... M’avez-vous apporté le présent qui me sauvera ?

  – Malheureusement, on ne m’a pas donné le bon bijou en mithril. Je suis vraiment désolé qu’une si belle créature ne puisse pas avoir le métal sacré. Mais mon ami Golthilia a trouvé miraculeusement une plante qui devrait te soulager. » Golthilia s’avança, et lui montra le simbelmynë. Il lui promit qu’il en fera une mixture qui la guérira. En attendant, il administra à la plus belle Elfe de la tribu le traditionnel onguent d’Athélas qui perdait petit à petit de son efficacité.


  Golthilia passa une semaine à préparer sa potion. Le simbelmynë était une plante médicinale très puissante, et donc difficile à manipuler. Il devait modifier la recette de son père ; car le breuvage ne devait pas allonger la vie, mais la régénérer. Il eut du mal à se rappeler de ce qu’avait dit son père, mais il réussit grâce à ses pouvoirs sur la Terre. Il faut dire qu’avoir beaucoup d’affinité avec l’élément Terre avantageait le Sorcier sur la préparation de potions avec des plantes médicinales. Le précieux breuvage fit le plus grand bien à Galadári. Elle fut guérie au bout de quelques jours. Et elle retrouva toute sa beauté qui avait été ternie par sa maladie.


  Mais Golthilia ne voulait pas s’en arrêter là. Il chercha un moyen définitif pour immuniser Galadári contre ces maladies récurrentes. Son père lui disait que la maladie venait rarement des esprits, mais de microorganismes qu’on ne pouvait voir. Comment avait-il découvert cela ? Sûrement grâce à la magie. Voronwë ne recherchait que la vérité. Il ne cachait jamais la véritable science par des superstitions ou des idéologies. Mais personne ne le croyait. Tout le monde pensait que c’était les esprits qui envoyaient les maladies ; et Voronwë n’avait aucune preuve.


  Golthilia se souvenait de ce que disait son père et il lui faisait confiance. Il prépara avec le reste des pétales de simbelmynë une autre mixture spécialement conçue pour renforcer la santé de sa sœur. Après qu’elle l’ait bue, elle se sentait plus jeune, plus vivifiée. Sa santé en fut fortifiée et elle tomba beaucoup moins malade. Elle remercia alors son frère qui venait de lui sauver la vie ! Une autre partie des prédictions de Voronwë s’était réalisée.


  Airëlda déclarait de plus en plus ostensiblement sa flamme devant Galadári. Il était clair que sa santé s’était accentuée en même temps que sa beauté. Peut-être même que Golthilia avait usé de filtres d’amour pour accélérer le Destin, mais cela resta à confirmer. De toute manière, Airëlda était réellement amoureux de Galadári. Tout cela plaisait à Golthilia, car s’ils se mariaient, il y aura beaucoup de chance que la Prophétie de Voronwë se réalise intégralement. De plus, il considérait désormais que l’honneur de son père était sauvé. Pour couronner le tout, les anciens du Clan ne pouvaient pas contester la décision d’Airëlda pour choisir son épouse. Selon la tradition, le futur chef de la tribu pouvait prendre comme femme n’importe quelle Elfe du clan, du moment qu’elle soit célibataire.


  Comme prévu, Airëlda déclara officiellement qu’il prendra Galadári comme épouse, malgré toutes les réfutations des fidèles de Fëanáro et les risques de consanguinité. « Fëanáro avait perdu sa Sagesse à la fin de son règne. Son temps est désormais révolu. Nous entrons dans une nouvelle ère. » répéta sans cesse Airëlda, même si c’était son propre père. Tout le monde dut se résigner à préparer l’avènement du futur chef du Clan de Cuivénen et de son mariage. La tradition voulait que les Elfes se donnent officiellement un prénom à leur mariage. Airëlda et Galadári devait donc s’en choisir un chacun, qu’ils déclareront lorsqu’ils seront unis. Golthilia eut le privilège de présider l’heureux événement. En général, cette charge revenait au Sorcier du Clan. Et comme Golthilia le deviendrait officiellement, il en hérita tout naturellement.


  Le mariage fut célébré à la date prévue : le vingt-quatrième jour du mois de Súlimë à l’an -126 du Premier Âge, c'est-à-dire le symbolique jour de l’équinoxe du Tuilë*. À ce moment, Galadári avait 96 ans et son fiancé en avait 110. Airëlda avait invité les Nains, mais ils refusèrent. Probablement à cause de l’histoire des jambières de mithril. De plus, les Nains n’étaient guère enchantés à l’idée de devoir faire un cadeau de mariage. Sinon, tout le reste se déroula à merveille. Les lieux ont étés spécialement aménagés pour le mariage. Des fleurs décoraient les arbres. Une arcade de lierre et de fleurs jaunes avait été fabriquée là où les amoureux devaient s’épouser. Bref, un décor de rêve qui se mariait avec la nature printanière.


  La cérémonie put commencer. Airëlda portait une magnifique toge blanche de tissu brillant, drapée et brodée de motifs représentant la nature. Il arborait ses deux bijoux de mithril et paraissait aux anges. Il était aussi coiffé d’une belle couronne de lierre vert. Galadári, quant à elle, était enveloppée d’une sublime robe blanche, aux reflets chatoyants. Il y avait un motif d’arbre et des lignes gracieusement courbes brodées dessus. Elle avait l’air d’une déesse là-dedans. Et sa couronne était faite de délicates fleurs blanches et parfumées. En tout cas, tout le monde était en admiration devant eux. Dommage que les Nains n’avaient pas voulu participer à cette union...


  Le couple d’Elfes s’avança devant Golthilia et son autel. Il prononça les paroles rituelles puis demanda quels prénoms les deux Elfes avaient choisi. Airëlda commença : « Par le droit sacré du mariage qui m’est accordé, je choisi le prénom d’Elessar* ! »

  – Qu’il en soit ainsi. Vous serez désormais connu sous le nom d’Elessar Airëlda ! » déclara solennellement Golthilia. Puis ce fut le tour de Galadári. Elle choisira le nom de Silmarwen*, “la jeune fille brillante” ; alors que le prénom de son époux signifiait “pierre elfique”. Tout aussi solennel, Golthilia confirma qu’elle se nommerait désormais Silmarwen Galadári.


  Ensuite, le futur Sorcier du Clan récita les célèbres paroles qui demandaient aux fiancés s’ils voulaient devenir mari et femme pour le meilleur et pour le pire. Galadári et Airëlda firent tous les deux un “oui” sincère. Alors la partie la plus importante du rituel pouvait commencer. Les mariés devaient s’échanger chacun un bijou, en gage de leur amour. Silmarwen offrit à son tendre Elfe un anneau en or sur lequel elle avait fait gravé des inscriptions magiques en l’honneur d’Airëlda. En retour, Elessar lui offrit...


  L’assemblée fut surprise. Airëlda venait de donner La Fleur de l’Aurore à Galadári ! Ce bijou que les Nains avaient tellement eu du mal à faire... Ce bijou qui avait été soigneusement béni par Voronwë... Ce bijou que son père lui avait légué pour qu’il le porte toute sa vie et qui lui procurait chance et protection... Ce bijou d’une valeur inestimable... Il venait de l’offrir à sa belle épouse. N’y avait-t-il pas une plus belle preuve d’amour dans tout cela ? Airëlda venait de prouver sa générosité en offrant le plus beau des cadeaux à Galadári. Golthilia en fut doublement heureux. D’une part, Airëlda sera glorifié pour ce geste (et il en est enchanté, car son grand ami sera ainsi mieux respecté) ; et d’une autre part, les prédictions de Voronwë à propos de sa fille sont sur le point de s’accomplir totalement. En effet, Golthilia avait souhaité dès le début qu’Airëlda offre ce bijou mystique à sa sœur. Pour lui, c’était la meilleure des immunités pour préserver définitivement la santé de Galadári. Il savait que les jambières de mithril pourraient remplacer La Fleur de l’Aurore en ce qui concerne la protection magique ; et il n’avait pas oublié de le faire remarquer à Elessar Airëlda. Ainsi, les deux bijoux de mithril possédaient la même protection ésotérique, et les deux heureux Elfes se partageront cette magie.


  Après avoir eu leurs mains liées par un ruban de lierre et de soie, le nouveau couple finit par s’embrasser sous l’arcade de fleurs, et tout le monde se mit à applaudir. Ce fut certainement les plus heureuses noces du Clan de Cuivénen. Pour conclure la cérémonie, Airëlda devait passer à la partie administrative. Les anciens de la tribu donnèrent à lui et sa femme, les emblèmes du couple dirigeant de cette tribu : deux bâtons en or et en argent et finement façonnés à l’art elfique, signe qu’ils sont les maîtres de ce clan. Par la suite, il dut nommer officiellement son Sorcier. Sans surprise, il désigna Golthilia, pour le récompenser de tous ses loyaux services qu’il lui a rendus. On donna au nouveau Sorcier le bâton correspondant. Cet objet entièrement en argent lui était très familier, puisque son père le lui laissait souvent pour son apprentissage de la magie. Enfin, Airëlda fut tout naturellement obligé de remercier ses fidèles de l’avoir hissé à sa tête. Ainsi, le règne d’Elessar Airëlda sur le Clan de Cuivénen put commencer ; et un siècle de prospérité s’ensuivit dans cette belle forêt elfique.


Triskell celtique